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Quand la ville est recyclée

La notion de régénération urbaine est apparue dans les années 1960 en Grande-Bretagne. Selon Roberts [1], elle peut être définie comme : « une vision et une action globales et intégrées qui conduisent à la résolution des problèmes urbains, et qui cherchent à améliorer durablement l’état économique, physique, social et environnemental d’une zone qui a été soumise à des changements ». Selon Chasseria [2], la régénération urbaine s’accompagne d’une approche patrimoniale par la réutilisation de bâtiments industriels, d’une politique sociale pour freiner le départ des populations locales et la gentrification, d’une mixité des fonctions urbaines et d’un partenariat avec les acteurs privés et publics. Concrètement, la régénération consiste souvent à repérer des friches industrielles ou ferroviaires délaissées après le départ des industries des villes à partir des années 1970, à réserver ces terrains dans les schémas directeurs pour y réaliser de nouveaux projets urbains, et à les dépolluer. Ces friches ont la particularité d’être souvent bien situées, à proximité des centres, et existent à différentes échelles. On peut trouver des friches artisanales de quelques centaines de mètres carrés, des friches ferroviaires de quelques hectares près d’une gare, ainsi que des friches industrielles de plusieurs dizaines voire centaines d’hectares.

Une seconde notion importante en urbanisme, la réversibilité des bâtiments, consiste à concevoir un bâtiment pour que son usage puisse changer plusieurs fois dans le temps, par exemple en transformant un immeuble de bureaux en logements [3]. Elle permet de faire face à la crise du logement, à l’obsolescence du bâti, et d’encourager l’économie circulaire. La réversibilité du bâti s’inscrit aussi dans une démarche environnementale en limitant l’empreinte carbone liée à la destruction future de bâtiments dont l’usage ne serait plus adapté aux besoins.

Ces deux démarches ont l’avantage de construire la ville sur la ville, c’est-à-dire d’utiliser les espaces vacants ou le bâti inutilisé pour réaliser de nouveaux bâtiments correspondant à l’évolution des besoins. Ceux-ci sont dépendants de nombreux paramètres dont l’évolution est incertaine, comme la conjoncture économique et sociale, les modes de vie, les modes de consommation, la démographie. La planification urbaine, discipline en urbanisme qui consiste à anticiper et organiser l’évolution d’un territoire sur un long terme, peut difficilement prévoir leurs changements à l’avance. Elle travaille donc par hypothèses [4] en essayant de répondre aux éventuels enjeux de demain.

Les défis environnementaux, un enjeu de la planification urbaine

Ces dernières décennies, un développement important de l’urbanisation en périphérie des villes a pu donner lieu à des critiques sociétales. L’étalement urbain et l’artificialisation des sols peuvent entraîner une pollution des sols, des sous-sols, des eaux, déséquilibrer les écosystèmes et favoriser des phénomènes naturels (crues, modification de l’écoulement des eaux). Aussi les politiques publiques ont cherché à limiter l’artificialisation des sols avec différentes lois, comme la loi Climat et résilience de 2021 avec l'objectif de « zéro-artificialisation nette des sols », ou encore en encourageant la densification du bâti autour des stations de transport collectif (ordonnance n° 2015-1174 du 23 septembre 2015). Ces différentes démarches peuvent se combiner entre elles, notamment en menant des opérations de régénération urbaine et de réversibilité du bâti. La régénération urbaine et la réversibilité permettent de construire dans des secteurs déjà urbanisés et d’éviter de le faire en périphérie, ce qui consomme des espaces naturels.

Le développement urbain est en effet en mutation. Les choix politiques, les modes de vie et les modèles économiques de ces dernières décennies ont poussé à revoir l’usage des ressources, qui ne seraient plus consom- mées mais patrimonialisées. La transition foncière est une démarche qui envisage de façon globale la préservation des sols de l’artificialisation, des pollutions, d’un usage trop intensif, etc. La transition écologique, quant à elle, d'une part encourage le développement des énergies renouvelables, de l’efficacité énergétique, de l’économie circulaire et de la mobilité durable, notamment en limitant les déplacements réalisés en voiture. D'autre part, elle peut être facilitée par un bâti plus dense et la limitation de l’étalement urbain (et donc de l’artificialisation). Enfin, la transition économique accompagne les deux précédentes en proposant d’orienter la reconversion des entreprises vers des activités respectueuses de l’environnement et de l’économie de proximité. Les trois se mènent de front. Ces mutations constituent un vaste champ de recherche pour les urbanistes.

Des friches industrielles aux nouveaux quartiers : l'héritage de Paris 2024

Le cas des opérations urbaines réalisées pour les Jeux olympiques et paralympiques de Paris (JOP) 2024 est emblématique d’une démarche de recyclage des espaces urbains et du bâti.

Les sites du centre aquatique olympique et du village olympique construits à Saint-Denis, Saint-Ouen et l’Île-Saint-Denis, et du village des médias de Dugny ont été choisis lors des premières candidatures de Paris pour les JOP car ils permettaient de régénérer des friches industrielles polluées, soit un fort potentiel de dynamisation urbaine à proximité de la capitale. Le site de l’ancien dépôt d’hydrocarbures de Saint-Ouen a été dépollué en excavant les terres déteriorées, qui ont été traitées ou stockées ensuite.

De leur côté, les deux villages des athlètes et des médias ont été conçus dès le départ comme réversibles, avec un permis de construire à double état qui permet de changer la nature du bâtiment sans déposer un deuxième permis. Les bâtiments du village olympique qui ont pu accueillir 14 500 athlètes, et ceux du village des médias ayant hébergé 1 300 journalistes et techniciens, seront convertis en logements ou en bureaux dès 2024. Pour cela, ils seront décloisonnés. Des cuisines (inexistantes dans les logements des athlètes et des journalistes) seront installées grâce à des arrivées d’eau prévues au préalable, tout comme des salles de bains supplémentaires. Au total, 2 800 logements, 120 000 m2 de bureaux, services et activités et 3 200 m2 de commerces seront ainsi réalisés dans les bâtiments du village olympique. Des écoles et des parcs sont aussi prévus. Le village des médias quant à lui, sera transformé en 1 300 logements, services et commerces, situés à proximité d’un parc.

Ces deux démarches se caractérisent par des mutations territoriales économiques, sociales ou environnementales positives que la recherche étudie. À l’échelle du nouveau quartier, la première évolution est la requalification de friches industrielles polluées, parfois devenues des espaces de décharge, en quartiers d’habitat, de bureaux et de services neufs, le tout aux dernières normes (écoquartiers par exemple), le plus souvent couplés à une meilleure desserte en transport en commun. Par exemple, le village olympique bénéficie du prolongement de la ligne de métro automatique 14 jusqu’à Saint-Denis Pleyel. Dans ce quartier, 6 000 emplois nouveaux sont attendus. C’est aussi le cas des quartiers de gare du projet de métro automatique Grand Paris Express qui feront l’objet d’opérations de régénération à la mise en service des lignes [5].

Recycler la ville, une solution parfaite ?

À l’échelle de l’agglomération, la densification près des centres par la régénération de friches et la réversibilité du bâti permet d’éviter aux planificateurs de rechercher des terrains vacants en périphérie pour construire les bâtiments qui répondent aux nouveaux besoins, et donc d’artificialiser des sols naturels. La densification permet aussi de raccourcir les distances parcourues par les citadins et de faciliter le recours aux transports en commun. En effet, construire en zone peu dense en périphérie contribue à l’étalement de l’urbanisation, et à l’allongement des distances de déplacement des ménages. Ces déplacements sont souvent réalisés en voiture, dont l’usage est dominant en zone peu dense, ce qui contribue à renforcer une empreinte carbone déjà élevée.

Cependant, cette médaille a aussi un revers. La recherche a montré un processus d’augmentation des prix immobiliers et de gentrification dans ces quartiers, qu’ils soient localisés dans un parc olympique ou dans un quartier plus standard.

Ainsi, 300 petites entreprises ont été déplacées depuis Stratford, friche industrielle où a été construit le parc olympique pour les Jeux de 2012 [6]. Entre 2005 (date à laquelle Londres a remporté l’organisation des Jeux) et 2022, les prix ont connu une croissance de 137 % dans le centre de Londres. À titre de comparaison, deux quartiers olympiques ont connu une augmentation supérieure (Hackney + 174 % et Waltham Forest +145,6 %) [7]. Les prix immobiliers ont pu aussi augmenter dans des quartiers plus standards, comme autour des stations du Grand Paris express. Les logements du village olympique de Paris 2024 seront vendus autour de 6 000 euros/m2, ce qui est supérieur aux prix habituels du secteur. L’hypothèse d’un processus de gentrification n’est pas à écarter, même si 25 à 40 % des logements (selon les communes) deviendront des logements sociaux. La financiarisation de ces projets urbains induit en effet un retour sur investissement.

La réversibilité du bâti rencontre des limites et nécessite une attention particulière. Les praticiens doivent prévoir le niveau de réversibilité à viser, ou encore concevoir le bâtiment en amont avec cet objectif. Par exemple les règles de sécurité, d’évacuation, d’accessibilité, de façade ne sont pas identiques pour les bâtiments de logements et de bureaux. Les fondations doivent être surdimensionnées dès le départ s’il est envisagé de surélever le bâtiment plus tard. Les divers usages possibles doivent donc être prévus au moment de la conception technique [3].

La régénération urbaine et la réversibilité des bâtiments restent des sujets d’actualité pour les chercheurs qui s’interroge encore. Comment planifier la régénération urbaine et la réversibilité en fonction de l’évolution incertaine des modes de vie, de la conjoncture économique, de la démographie ? Comment viser le bon niveau de réversibilité et optimiser la conception des bâtiments avec des règles qui varient selon les usages ? Ou encore, tout en répondant aux besoins des ménages et du milieu économique, comment densifier par la régénération urbaine et la réversibilité en encourageant l’usage des transports en commun ? Et comment limiter l’artificialisation des sols et l’usage de la voiture particulière en zone peu dense d’un autre côté ? Si aujourd’hui ces questions restent en suspens, elles sont au cœur des problématiques étudiées par les chercheurs pour de nombreuses années.

Bibliographie

[1] Roberts P. (2000), « The Evolution, Definition and Purpose of Urban Regeneration », dans Roberts P. et Sykes H. (dir.), Urban Regeneration. A handbook, London, Sage Publications, p. 15.

[2] Chasseriau A. (2002), « Les grands équipements au service de la régénération urbaine », ESO, travaux et documents, 18.
[3] Agence qualité construction (2021), Réversibilité des bâtiments, points de vigilance et recommandations, Ministère de la transition

écologique.

[4] Zembri-Mary G. (2019), Project Risks: Actions Around Uncertainty in Urban Planning and Infrastructure Development, London, ISTE/ John Wiley & Sons.

[5] Société du Grand Paris (dir.) [2022], Quartiers de gare du Grand Paris.

[6] Gold John J. R. et Gold M. M. (2008), « Olympic Cities: Regeneration, City Rebranding and Changing Urban Agendas », Geography Compass, 2 (1), p. 300-318.

[7] Bloomfield R., « Ten years since London 2012: who are the real winners and losers of the Olympics regeneration game? », Evening standard [en ligne], 21 juillet 2022. URL : https://www.standard.co.uk/homesandproperty/property-news/london-boroughs-olympics- regeneration-house-prices-b1014856.html

Modifié le 21/02/2025

DOI: https://doi.org/10.59655/nd52122995492